L’inventeur du ciment artificiel est Louis-Joseph Vicat (Nevers, 1786 – Grenoble, 1861). Cet homme était généreux. Il refusa de déposer le brevet de son invention, simplement parce qu’il se sentait redevable à la société pour avoir été formé dans les meilleures écoles de France (c’est Joseph Fourier, le célèbre mathématicien et préfet de l’Isère, qui lui conseilla d’intégrer Polytechnique). Le brevet fut déposé par un Écossais nommé Joseph Aspdin, dès 1824 (puis, en 1833, un polytechnicien, Léon Pavin de Lafarge, installe des fours à chaux au Teil en Ardèche, et en 1848, la première usine de ciment, créée par Dupont et Demarle, s’installe à Boulogne-sur-Mer). C’est pour ça qu’on appelle encore de nos jours son invention le ciment Portland, du nom d’une île du sud de l’Angleterre. Il était à un tel point désintéressé que même Honoré de Balzac s’en émut, se demandant comment il pouvait être récompensé de son travail alors que les autres faisaient fortune tandis qu’il était sans le sou. François Arago, âme charitable et grand homme, lui fit obtenir une pension annuelle de 6 000 francs de l’époque, réversible sur ses enfants.
Voilà pour la petite histoire. De nos jours, le ciment Portland, le liant utilisé pour la fabrication du béton, est le matériau de construction le plus utilisé au monde (après l’eau), avec plus de 4 milliards de tonnes produites chaque année (1). Par ailleurs, chaque année, 40 milliards de tonnes de sables sont extraites des fonds marins, des mines et des lacs, afin de nourrir le secteur du bâtiment. Le béton est composé aux deux tiers de sable, et malheureusement, nos ressources en sable ne sont pas infinies (2).
Mais revenons au ciment. Des chercheurs de l’université de technologie de Kaunas, la KTU, en Lituanie, assurent avoir mis au point un nouveau béton sans ciment, fabriqué à partir de résidus industriels : cendres volantes issues de la combustion des centrales à charbon, cendres de biocarburant, laitier de haut fourneau ou métakaolin (un silicate d’aluminium généré lors de la production de kaolinite, notamment utilisé pour la fabrication de porcelaines). Selon Vytautas Bocullo, chercheur en ingénierie civile et en architecture à la KTU, il est ainsi possible d’utiliser n’importe quel matériau contenant une forme active de silice et d’alumine. Il suffit ensuite d’ajouter de l’eau et le ciment durcit à température ambiante (20 °C). Contrairement au ciment Portland, ce liant géopolymère « prêt l’emploi » ne nécessite pas un chauffage à haute température. À savoir aussi que chaque tonne de ciment Portland produite requiert entre 60 et 130 kg de fuel ou équivalent.
En plus de ses bénéfices environnementaux, le béton fabriqué avec ce substitut est plus résistant au feu et à l’attaque par des ions chlorures, par exemple dans les endroits exposés aux embruns marins (1). Grâce à son pH plus élevé, il protège mieux les armatures en métal contre la corrosion. Il n’est pas non plus sensible aux réactions alcali-granulat (un phénomène qui entraîne la formation de gels silico-calco-alcalins qui gonflent et fissurent le béton), car les hydrosilicates de calcium formés lors de l’hydratation du ciment « piègent » les alcalins, les rendant indisponibles pour activer une réaction. Enfin, contrairement à l’idée que l’on pourrait avoir, le laitier moulu est une poudre blanche donnant au béton un aspect plus clair, offrant donc un meilleur albédo. Une propriété utile alors que les épisodes de canicule vont être appelés à se multiplier dans les villes !
Le laitier de hauts fourneaux et les cendres volantes sont déjà utilisés aujourd’hui comme adjuvants dans la fabrication de béton. Le groupe franco-irlandais Ecocem produit ainsi des liants hydrauliques à partir des laitiers granulés des hauts-fourneaux d’aciéries. Selon l’entreprise, la fabrication d’une tonne de laitier moulu émet 20 kg de CO2, soit 38 fois moins que celle du ciment Portland ; elle évite l’extraction de 1,3 tonne de matières premières. « Malheureusement, il y a en France au puissant lobby cimentier qui a imposé des normes limitant la part de laitier dans le béton pour la construction », soupire Katia Nataf, la porte-parole d’Ecocem. Ce substitut était pourtant largement utilisé avant la première guerre mondiale : « La ligne 1 du métro ou le palais du Trocadéro à Paris ont été fabriqués avec du béton contenant au moins 70 % de laitier », rapporte Katia Nataf.
Pour que ce béton soit encore plus rentable et économique, il est préférable de s’approvisionner auprès d’usines locales, conseille Vytautas Bocullo. Certaines cendres nécessiteront toutefois un traitement additionnel, comme celles issues des biocarburants qui doivent être broyées plus finement avant d’être incorporées au béton. L’université lituanienne n’en est pas à son premier coup d’essai concernant les matériaux écologiques. En février, ses chercheurs avaient déjà mis au point un béton à ultra haute performance fabriqué à partir de verre moulu recyclé.
Au niveau des constructions à base de ciment laitier, on peut citer la Tour Marseillaise aux couleurs bleu-blanc-rouge de la cité phocéenne, signée Jean Nouvel. Le second gratte-ciel de Marseille a été construit avec le pourcentage de 96% des déchets recyclés durant le chantier. Avec ses panneaux solaires sur le toit pour alimenter le restaurant d’entreprise, sa thalasso-thermie via une boucle d’eau de mer permettant d’utiliser l’eau de la Méditerranée pour la climatisation, ses terrasses et toit végétalisés avec pins, oliviers et figuiers : derrière son camaïeu de couleurs et ses façades hérissées de brise-soleil qui ont permis de tapisser le bâtiment de verre clair, la Marseillaise s’est voulue exemplaire. Pari réussi.
Quant aux occupants de la tour, ils ne sont encore que quelques dizaines déjà installés, sur les 2.500 attendus à terme. Ce sont les salariés de Haribo France qui sont arrivés les premiers, en septembre. Vont suivre les 900 employés de la métropole Aix-Marseille-Provence qui vont occuper 12 étages, ceux de la ville de Marseille, d’Orange et de Swiss Life, l’un des propriétaires de la tour (3).
Mon obstination à monter ce projet industriel m’a suivi toute au long de ma carrière dans l’industrie de la construction, je pensais que cette aventure durerait quelques années, mais aujourd’hui je suis persuadé que l’entreprise ECOCEM a une longue vie devant elle. », raconte Donal O’Riain, le PDG d’Ecocem.
Comme le rappelle le dossier de presse d’Ecocem, à la sortie de la récession en 2009, cette jeune entreprise avait non seulement survécu mais elle avait poursuivi son développement. Depuis cette date, sa capacité de production a doublé et ses perspectives de croissance sont de plus en plus importantes. De nouvelles opportunités ouvrent une période de croissance pour cette technologie : dans toute l’Europe aujourd’hui, sa production est rare sur le marché et la demande est en constante augmentation : construction d’une médiathèque à Vitrolles, chantier du Tomawak sur le projet ITER, Tour Odéon à Monaco, port de Gothenberg en Suède, stade de Bordeaux, Aviva Stadium à Dublin, bâtiments adminstratifs à Cork, etc.
De plus, grâce à son partenariat avec ArcelorMittal, Ecocem France est en mesure de garantir l’approvisionnement de ses clients en laitier moulu. En effet, Ecocem France forme une Joint Venture avec ArcelorMittal dans laquelle ce dernier possède 49% des parts. Ce partenariat industriel est précurseur de l’économie circulaire en France. Dans les deux territoires où sont implantés nos usines, Ecocem optimise l’économie circulaire. Ecocem est ainsi installé à proximité immédiate des hauts-fourneaux qui approvisionnent l’usine en matière première, réduisant donc au maximum les transports liés à l’activité. De plus, dans l’usine de Dunkerque, des gaz fatals issus des hauts-fourneaux pour alimenter l’outil de production.
La tendance à préférer des produits non polluants va jouer progressivement et inexorablement en faveur d’ECOCEM et d’autres entreprises innovantes. Comme ces innovations également prometteuses, comme le béton de chanvre développé de manière industrielle par l’entreprise Vicat.
Ou encore le ciment dit intelligent qui pourrait transformer les bâtiments en batteries. En effet, en 2018, des scientifiques anglais de l’université de Lancaster ont conçu un ciment géopolymère (comprenez à base de minéraux d’origine géologique), composé entre autres de potassium et de cendres volantes, résultat de la combustion de charbon. Le secret de ce ciment révolutionnaire ? Les ions de potassium. Grâce à leur circulation à travers la structure du ciment se produit une conductivité électrique. D’après ces mêmes chercheurs, une fois le ciment parfaitement au point, ce dernier serait en mesure d’offrir une capacité de charge et de décharge allant de 200 à 500 watts /m². De quoi transformer bâtiments, ponts, bordures et même lampadaires en batteries bon marché. L’autre propriété intéressante qu’offre ce matériau est la capacité de signaler en temps réel toute altération de la structure. Un stress mécanique tel qu’une fissure va perturber la conductivité des ions, ce qui permet de détecter automatiquement tout problème menaçant l’intégrité d’un bâtiment sans recourir à des capteurs externes (4). Difficile à dire si cette innovation donnera des résultats probants.
L’Exposition universelle de 1900 consacra le béton armé. Il est probable qu’un évènement futur consacre le béton laitier. Ou recyclé. Ou les deux.
- https://www.futura-sciences.com/maison/actualites/batiment-beton-ecolo-fabrique-ciment-73497
- https://www.natura-sciences.com/comprendre/penurie-sable.html
- https://www.francetvinfo.fr/culture/arts-expos/architecture/la-marseillaise-la-tour-en-bleu-blanc-rouge-de-jean-nouvel-inauguree-aujourd-039-hui-a-marseille_3368123.html
- https://ingebime.fr/news/un-ciment-auto-regenerant-capable-de-stocker-de-lenergie